Clément Potier, Pod, MSc
La douleur fémoro-patellaire est une pathologie très répandue, que ce soit dans la population générale ou le milieu sportif. Cette revue synthétise l’épidémiologie, les facteurs de risque et les types de traitements possibles. Le modèle biomécanique traditionnellement utilisé pour gérer cette pathologie est discuté.
Mots-clés : Douleur fémoro-patellaire – Revue narrative - Biomécanique – Course à pied - Biopsychosocial
Patellofemoral Pain: where does the biomechanical approach stand, and what treatments?
Clément Potier, Pod, MSc
Patellofemoral pain is a common knee condition in general and sports population. This review aims to synthesise its epidemiology, risk factors and potential treatments. The traditional biomechanical paradigm for managing this condition is discussed.
Keywords: Patellofemoral Pain – Narrative review - Biomechanics – Running - Biopsychosocial
Définition et épidémiologie :
Tous les deux ans, des chercheurs experts sur la Douleur Fémoro-Patellaire (DFP) se réunissent dans le cadre de l’International Patellofemoral Research Retreat (IPRR). L’objectif est de discuter des dernières recherches pour établir des consensus exploitables par les cliniciens, et orienter les futures études. La 4ème IPRR a défini la DFP comme étant une douleur autour ou derrière la patella, aggravée par au moins une activité la mettant en charge (squat, escaliers, sauts, course …)1. Si aucun test pathognomonique n’existe, on peut également ajouter de manière optionnelle une sensation de grincement dans l’articulation, la présence d’un épanchement, et une palpation douloureuse des facettes patellaires. La prévalence annuelle de cette pathologie serait d’après la dernière revue systématique de 22,7% dans la population générale, 28,9% chez les adolescents, et jusque 35,7% chez des cyclistes élites 2. A la course, c’est également la blessure la plus fréquente (17% du total des blessures)3. Les femmes semblent être plus susceptibles de la développer que les hommes.
Alors que l’on pensait cette pathologie comme spontanément résolutive, la douleur persiste chez environ la moitié des gens, parfois plus de 20 ans, et pourrait précéder la formation d’arthrose fémoro-patellaire. De plus, la présence de DFP depuis plus de 4 mois a été associée à un moins bon pronostic sur le long terme4.
Pathogenèse :
L’étiologie est multifactorielle et il est très difficile de ressortir un tableau clinique type pour cette pathologie. Le modèle biomécanique part du principe que les voies nociceptives sont activées par des malpositions ou un mauvais cheminement de la patella par rapport à la trochlée fémorale, avec pour résultante des contraintes plus élevées sur l’articulation fémoro-patellaire (AFP). Les sources de nociception ne sont pas clairement identifiées, mais pourraient provenir de l’œdème sous chondral, du tissu graisseux infra-patellaire, du retinaculum, ou de la membrane synoviale.
De façon schématique, Dye (2005), a proposé que la pathologie survient lorsque l’on sort les tissus de l’AFP de leur zone d’homéostasie5. Une sursollicitation peut être une charge intense (e.g. réception d’un saut de 2m) ou une microcharge répétée (e.g. marche prolongée). Si l’AFP est sous-sollicitée, alors son niveau de tolérance maximal diminue, et des activités de la vie quotidienne auparavant dans la zone d’homéostasie, deviennent des activités sursollicitantes.
Power et al. (2017) ont présenté un modèle résumant un grand nombre de facteurs mécaniques associés à la DFP et menant à une surcharge de l’AFP6. On retrouve par exemple une chaine valgisante du membre inférieur (Figure 17), des anomalies anatomiques de l’AFP, des raideurs musculaires (quadriceps et ischio-jambiers), des Figure SEQ Figure \* ARABIC 1 : Valgum dynamique du genou entrainant adduction et rotation interne de hanche, rotation interne tibiale et pronation d'arrière-pied. D’après Barton & Rathleff (2016) laxités ligamentaires, une cinétique du mouvement modifiée.
Cependant, tous ces facteurs sont soit associés mais sans relation de cause à effet avec la DFP, soit variables voire contradictoires entre les études, ou entre des sous-groupes de sujets. Cela met en lumière toute la complexité de cette pathologie. Certaines différences sont également difficiles à apprécier en clinique compte tenu des variations individuelles et de la précision des mesures : une différence moyenne de moins de 1mm au Navicular Drop est constatée entre un groupe avec et un groupe sans DFP8. De même pour l’adduction de hanche, ou l’on trouve une différence moyenne de 4° (mesurée par des systèmes de capture du mouvement 3D)9.
Le déficit de force du quadriceps est l’un des rares facteurs de risque concordant établi prospectivement, avec un niveau de preuve modéré, hormis chez les adolescents où il ne semble pas rentrer en compte. Des preuves modérées à fortes montrent également que l’âge, le poids, l’IMC, le taux de masse grasse et l’angle Q ne sont pas des facteurs de risque10.
Traitements :
Les recommandations de la 5ème IPRR donnent un avis général concernant les traitements ayant fait leurs preuves, à adapter en fonction de la présentation clinique du patient, de ses préférences et de l’expertise du praticien (donc suivant la définition de l’Evidence Based Practice). Les exercices de renforcement ciblant la hanche et le genou (sans focalisation particulière sur le vaste médial), si possible de façon combinée, sont le traitement principal à court, moyen et long terme11. En cas de douleur importante, commencer la rééducation par des exercices ne ciblant pas directement le genou et en chaine cinétique ouverte peut être une solution4. Par la suite, la chaine cinétique fermée est préférable pour mieux répliquer la fonction12.
Les traitements type ultrasons ou laser sont jugés inappropriés. Cela ne veut pas dire qu’il est impossible de les utiliser, mais leur valeur ajoutée est considérée comme nulle11.
Les semelles sont recommandées, seules ou en complément des exercices, pour réduire la douleur à court terme11. De même à un niveau moindre et uniquement en complément des exercices, pour la thérapie manuelle et le strapping de genou. Les semelles peuvent éventuellement être une alternative aux exercices si le patient n’est pas compliant4.
Une publication récente a montré qu’en associant les semelles à des exercices de renforcement du pied et du genou, chez des sujets avec un valgus calcanéen statique supérieur à 6°, les résultats étaient meilleurs à 4 mois qu’en utilisant uniquement les exercices ciblés sur le genou13. Le résultat est similaire au bout d’un an, mais cela peut permettre un gain de temps non négligeable chez un sportif ou pour une reprise du travail.
Si les semelles sont reconnues pour réduire en moyenne la douleur chez les sujets ayant une DFP, les résultats sont très variables en fonction des individus, et tous ne bénéficient pas d’effets positifs. Des données préliminaires suggèrent que les sujets présentant une mobilité du médio-pied augmentée (différence entre la largeur du pied entre charge et décharge > 11mm), une limitation de dorsiflexion de cheville (en charge, genou fléchi), un chaussage de mauvaise qualité, ou une amélioration immédiate des symptômes lors de flexion de genou en unipodal sont les plus susceptibles d’obtenir de bons résultats avec les semelles14. Avec les trois derniers prédicteurs cumulés, les chances de succès montent à 78%. La posture statique du pied (Foot Posture Index, Navicular Drop) ne semble pas être un critère à prendre en considération, mais la pronation du pied en dynamique potentiellement oui15 .
Enfin, il faut noter que le type de semelles recommandées par ces publications sont des préfabriquées, très répandues dans le monde anglo-saxon pour leur avantage en termes de prix par rapport aux semelles « custom » (sur-mesure) souvent plus chères qu’en France. Les études n’ont en effet pas montré de supériorité des semelles custom par rapport aux préfabriquées. Les deux types de semelles peuvent cependant être modifiées dans les études ou en clinique, à l’aide d’éléments de semelles pronateurs, supinateurs, antérieurs ou postérieurs, au minimum afin d’obtenir un bon confort du sujet. Les préfabriquées peuvent également être choisies en fonction de la hauteur de la voûte, de corrections intégrées ou du shore du matériau. Or, choisir et modifier une semelle préfabriquée est déjà de la customisation16. La seule différence tient donc au fait que la base des semelles custom est faite d’après une empreinte du pied, contrairement aux semelles préfabriquées possédant une forme générique. Les semelles custom sont tout de même conseillées en cas de morphologie particulière du pied12.
Course et réentrainement de la foulée :
Le réentrainement du mouvement est également une modalité de traitement, par exemple sur des tâches de flexion, en cherchant à maintenir un alignement du membre inférieur (diminution du valgum dynamique du genou). Toutefois, pour des tâches spécifiques comme la course, des consignes directement en lien avec l’activité sont probablement plus pertinentes. Cela peut inclure des consignes d’élargissement de la foulée dans le plan frontal, une modification lors de la pose du pied (transition vers une technique médio-avant pied), une augmentation de 5 à 10% de la cadence etc.
L’état actuel de la littérature est malgré tout limité sur ce type d’intervention, avec des résultats contradictoires, ce qui a mené la 5ème IPRR à classer pour l’instant le réentrainement de la foulée comme une modalité incertaine. Un essai contrôlé randomisé17 portant sur 16 coureurs a comparé un groupe utilisant des semelles préfabriquées, à un groupe utilisant des chaussures minimalistes et une augmentation de la cadence. Le second groupe obtient, après 3 mois, une réduction de la douleur cliniquement plus importante. Au contraire, une autre étude de plus grande envergure18 n’a pas trouvé de bénéfice à 4, 8 et 20 semaines, à rajouter à des conseils d’autogestion de l’entrainement 1) soit un programme d’exercices (force et stabilité dynamique du membre inférieur avec évolution progressive de la difficulté suivie par un physiothérapeute, 2) soit des conseils de course (conseils personnalisés par un physiothérapeute, augmentation de cadence, attaque non-talon, course plus douce). L’éducation donnée sur la gestion de l’entrainement consistait à augmenter le nombre d’entrainement par semaine, réduire leur durée, réduire la vitesse, éviter de courir dans les marches et en descente, ne pas dépasser une douleur de 2/10 à l’EVA, avoir un retour à l’état de douleur initial dans l’heure suivant l’entrainement, le tout en suivant un plan d’entrainement ajustable avec augmentation graduelle de la difficulté. Si les exercices et les conseils de course n’ont rien apporté de plus que les conseils éducatifs dans cette étude, les 3 groupes ont tous eu une large amélioration des symptômes. Cela laisse supposer que l’éducation à la gestion de l’entrainement est une composante importante du traitement pour les coureurs ayant une DFP.
Prise en charge biopsychosociale :
De plus en plus de recherches et d’avis d’experts pointent vers une prise en charge plus globale de la DFP au même titre que d’autres pathologies chroniques comme la lombalgie. D’une part car comme nous l’avons mentionné plus tôt, les résultats des traitements à long terme ne sont pas bons pour une bonne partie des personnes touchées, d’autre part car les facteurs biomécaniques seuls peinent à expliquer la pathogenèse et la diversité des présentations cliniques19.
Bien qu’à ses début dans l’exploration de l’impact psychologique de la DFP, la littérature actuelle montre que les personnes souffrant de DFP présentent plus d’anxiété, de dépression, de catastrophisme et de kinésiophobie que des populations sans douleur, en particulier lorsque les symptômes et l’incapacité liés à la DFP sont plus importants20,21. Ces facteurs sont susceptibles d’altérer le processus douloureux, ce que semblent confirmer plusieurs publications retrouvant de l’hyperalgésie locale et étendue au niveau patellaire, et des caractéristiques de sensibilisation centrale22,23. Le fait de ne plus pouvoir participer à ses activités habituelles, les comportements d’hypervigilance, la peur d’endommager son corps et de faire flamber la douleur expose à un risque de sous-activité physique, ne permettant pas une bonne rééducation, et ancrant les patients dans une douleur chronique24. Au contraire, un état psychologique altéré peut être à l’origine d’une suractivité, par exemple dans le cas de personnes pour qui le sport est un exutoire nécessaire en raison de stress professionnel. L’environnement social est aussi à considérer chez les adolescents, dont la quantité d’activité physique peut être liée à la volonté de la famille, du coach, des enseignants etc.
Aucune étude n’a pour l’instant observé l’impact d’une action directe sur les facteurs psycho-sociaux dans le cadre de la DFP, mais c’est un axe de recherche prioritaire4. Les professionnels de santé sont toutefois encouragés à prendre en compte ces facteurs pour comprendre à quel point la pathologie affecte la personne au quotidien, gérer ses attentes, éviter les discours nocebo, rassurer les patients et donner des outils permettant de l’auto-efficacité.
Conclusion :
L’aspect biomécanique est important dans l’évaluation et la prise en charge de la DFP, avec des traitements ayant fait preuve d’efficacité. Cependant le manque de résultats à long-terme pour certaines personnes, et l’émergence de publications montrant une prévalence élevée de facteurs psychologiques associés à la DFP fait relativiser son influence et incite les cliniciens à une prise en charge plus globale. Les facteurs biomécaniques et psychosociaux, bien qu’indissociables, ne sont pas répartis équitablement chez tous les individus. Certains facteurs prépondérants pour un individu seront mineurs pour un autre. Seul un examen approfondi, centré sur le patient associé à des décisions partagées avec lui, permet de considérer un maximum d’aspect de sa DFP dans le but d’améliorer sa prise en charge.
Références
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